La Présidente de Région se défend de tuer la culture. Elle s’interroge « ce secteur serait à ce point dépendant des subventions publiques ? »*.
La réponse est républicaine, humaniste. La démocratie a pour ambition l’émancipation des êtres, leur déploiement, la création d’un ciment social, elle œuvre à l’élévation des savoirs, la beauté dans l’espace public et les sphères privées. Sa carte maitresse est la culture.
Mais pas n’importe laquelle,
pas celle de Netflix qui entretient les valeurs d’un monde délétère, pas celle de Bolloré et Kretinski, pas celle de leurs maisons d’édition, médias et manuels scolaires, celle-là a ses soutiens financiers, la culture de lessiviers a son modèle économique, ses ardents défenseurs, quoi qu’il en coute.
Celle qui a besoin de soutien public est la culture indépendante, indépendante dans la structure financière comme dans les idées.
Cette culture-là propose d’autres histoires, une diversité d’artistes, des sujets émergents, des lieux qui accueillent. Cette culture nous raconte un autre monde, la cohabitation de sensibilités singulières sur un même territoire.
C’est celle qui crée du lien : les librairies et éditions indépendantes, les résidences d’artistes, les associations de médiation culturelles…
Pas celle qui reste derrière les murs des maisons, déversant une « culture » formatée, qui brosse un vieux système dans le sens du poil, sclérosant les normes dépassées et mondialisées, isolant les individus devant leurs écrans
Voyez-vous il y a 10 ans nous avons monté une maison d’édition, avec des process écologiques, on paye au mieux nos auteurices (même si c’est insuffisant au regard de leur travail), pas d’impression en quantité à bas cout, ni la destruction qui s’en suit (système plus rentable), donc nos livres nous reviennent plus chers que ceux de l’édition mainstream.
Nous refusons la surproduction, publier beaucoup pour multiplier les chances telles les machines à sous, avec des livres « clônes » sur le carton du moment. Oui l’édition a les travers des autres secteurs : standardisation, low cost, financiarisation, concentration. À la quantité d’offres, nous opposons la sélection de livres qui nous paraissent nécessaires, singuliers et les soutenons.
Dans un monde où les géants du secteur ne s’imposent pas ces règles la concurrence est déloyale. C’est une utopie. Oui notre projet éditorial est une utopie qui garde le cap, celui-ci n’est pas négociable, et qui va chercher des moyens de manière pragmatique. Et donc les subventions publiques et quelques mécènes privés.
Aller chercher des subventions publiques dans une sphère marchande, est-ce si choquant ?
Nous travaillons par ailleurs dans le secteur classique (les éditeur/éditrice indé ont souvent un autre boulot pour se rémunérer), alors au départ en bons entrepreneur·euse il ne nous venait pas à l’idée de demander des soutiens. Jusqu’à cette journée stimulante organisée par Mobilis et Coll’Libri, financée par la Région donc, où se croisait toute la richesse de ce métier : traducteur·ice, auteur·ice, agents littéraires, imprimeries, illustrateur·ice, metteur·se en page, libraires, bibliothécaires, médiateur·ice, artistes…
Ce jour-là ce que je faisais a pris une autre saveur, j’ai troqué l’amertume pour une famille. On avait toutes et tous les mêmes difficultés et la même exigence.
Ce que je faisais a pris une tout autre valeur. J’ai rencontré un milieu auquel j’appartenais sans le savoir et dont je suis fière. Toutes ces personnes, sont passionnées, dévouées, habitées par le sens de la beauté et de l’utilité, portées par une foi en l’humanité, et en son intelligence.
Ce jour-là j’ai compris que le soutien financier était inévitable, que nous faisions partie d’une oeuvre collective, celle de la culture, que c’est un bien commun, qu’il est fragile.
Et que l’audace de la culture indé qui prend des risques, sur des sujets émergents, aux marges, avec des primoauteurs, de jeunes artistes, que les “gros” récupèrent ensuite sans le talent, ni l’investissement du défrichage, devait être soutenue. C’est ici que naissent les graines de la culture. Et ce fut même une force le jour où j’ai compris que nous devions demander de l’aide, j’appartenais à une forme de service public.
La subvention publique c’est précisément apporter du soutien à ce qui est essentiel, afin de pallier à des règles biaisées. Les méga machines culturelles n’avaient pas besoin de cette coupe totale pour nous mettre déjà toutes et tous en difficulté. Avec les rachats et autres charges qui augmentent, il aurait presque suffi d’attendre un peu. Mais là je crois que cela nous a réveillé·es.
Vous dites« le secteur culturel doit d’urgence se réinventer »*.
C’est la politique qui doit d’urgence se demander au service de quoi elle œuvre, au service de qui, pour quel rayonnement. La culture doit-elle être gérée comme un fabricant d’électroménager ?
Pour déminer un préjugé qui traine, le secteur de la culture est créateur de valeur, d’emplois, d’attractivité pour une ville ou une région. Avec ma modeste maison d’édition, nous faisons travailler des artisans et faisons imprimer à moins de 100 km de Nantes, sans pratiquer l’exil fiscal. En Pays de Loire 160 000 emplois sont en jeu dans nos villes et villages.
Quelle serait aujourd’hui l’image de Nantes sans sa culture si singulière, sans ses artistes, ses Folles journées, ses Machines de l’ile, son éléphant, sans son château, ses concerts, ses spectacles de rue, ses festivals ?
On pourrait aussi parler de l’immatériel : aller dans les écoles, médiathèques, librairies, évènements, associations, la plupart du temps gracieusement, qui y va ?
Or on le sait, un livre, un film, un spectacle peuvent bouleverser, jusqu’à changer une vie. La culture indé y contribue plus que toute autre.
Pendant le Covid, sans musique, sans livres, sans films, alors nous aurions été vraiment confiné·es. Je ne donnerai pas cher de notre santé mentale.
Madame la Présidente, pour répondre à votre interview, le Conseil Régional a le droit de mort oui, sur tout un secteur, je vous invite à avoir cet autre pouvoir, merveilleux : celui de la vie, celui du grand, celui du beau, celui qui ouvre et qui relie.
Que revienne l’audace de ces financeurs et financeuses qui faisaient émerger, vivre les artistes, tout ce dont nous sommes si fier·es aujourd’hui, qui fait notre patrimoine, notre ciment, notre culture, nos vies.
* Citations article Ouest France
En remerciant tous nos soutiens dont la Région Pays de Loire, le CNL, l’Ademe, Anne et Olivier Boisteau Qui permettent à nos projets d’exister, notamment Les Utopiennes, et de redonner de l’espoir à un large public.
Et les indispensables et menacés Mobilis plateforme du livre et et CollLibris collectif de maison d'édition, qui toutes deux permettent la montée en compétence du secteur et la mise en place de projets partagés.